Le début de la fin
Alors voilà. On en est tous au
même point. Tous ? Pas sûr. Ce matin, il ne fait pas très beau, pourtant
hier, on crevait de chaud. J’ai appris à préférer regarder en dedans, parce que
dehors, ce n’est pas si beau, et que dedans, il fait plus chaud. Oui mais
dehors, il y a tous ces gens, qui font cette vie, aussi légère soit-elle, et
qui la brise, et la construise, et la détruise, et la regrette. Il y a de ces
choses qui n’auront jamais de signification, et pour lesquelles on s’attachera
à en trouver, bon gré, mal gré. Déjà que dans nos petites existences mortelles
et fatiguées, dans nos microcosmes, on peut détester l’un ou l’autre, et
pourtant, on ne connaît pas grand monde. Alors quand ils se mettent à être
beaucoup, ces gens pas comme moi, eh bien forcément, ça en fait plein à
détester, parce qu’ils ne sont pas comme moi. Il y a des noirs et des blancs et
des marrons et des rouges et des jaunes. Des grands et des petits et des gros
et des maigres. Des gentils et des méchants et des sauvages et des volages. Et
puis, il y a les idées. L’Idée. Oui parce qu’on a tous l’Idée. Et elle est à
négocier. Elle est à hypocriser pour mieux s’entendre, tous ensemble, gens qui
se détestent. Il y a l’Idée politique, avec la droite et la gauche, et
l’extrême droite et l’extrême gauche, et les constellations qui se meuvent au
sein de ces partis, dont on ne comprend pas toujours les motivations, mais pour
qui on adhère, avec passion et déraison. Il y a l’Idée technologique,
modernologique, hyper-post-modernologique. Et là. C’est le début de la fin.
Parce qu’avec nos petites idées pleines de médiocrité, qu’on croit pleines de
liberté et de vérité, au moment même où on trace les frontières de l’Idée, on
devient con. Et rentrent en jeu les inégalités, l’intolérance, la violence, la
négociation médiatique et politique, la négociation dans la vie même du bon
gens moyen. Mais il ne faut pas tout mélanger. En réalité, nous, avec nos
petites idées sur le monde, on ne va pas bien loin, là, le cul sur la chaise à
dire : « mais dans quel monde on vit ! ». L’assistanat
idéel humanisé. Voilà ce qui se passe, dans nos vies. La politique nous apprend
à détester les uns et préférer les autres, en mettant sur un piédestal les
idéologies qui ne nous servent à rien en particulier. Et la frontière, la vraie
et bonne frontière, géographique, nous apprend que de Nice à Venise, ce ne sont
pas les mêmes gens. De Perpignan à Barcelone, ce ne sont pas les mêmes gens. De
Paris à Londres, encore, ça va, mais ce ne sont pas les mêmes gens. Le pire,
c’est de d’Athènes à Badgad. On a réussi à instaurer, grâce à la modernisation,
à l’évasion de l’homme de son propre territoire circonscrit, la différence, et
la politique a instauré par-dessus l’intolérance, le bien, le moins bien, et le
gravement pas bien. Alors il y a les bons, les brutes, et les truands. Les
blancs, les marrons. Oui parce que dans nos petites têtes, les marrons sont les
brutes et les truands. Et puis il y a les riches et les moins riches. (On dit
encore « pauvre » ? Comment, mais c’est ignoble !!!). Les
Blancs, les jaunes, et les noirs, qui crèvent la dalle. De temps en temps on en
entend parler, au journal de 3h du matin, si si, c’est vrai. Ah oui, il ne
fallait pas l’oublier, parce qu’à la politique s’ajoute l’image, la
virtualisation de la vie. On en voit des atrocités. Berk. En plus, c’est au
moment du repas. On digère mal notre foie gras, ou notre sauciflard bon marché
de chez Lidl. Le litron de rouge fait passer l’affaire, et on reprend nos
affaires à faire. L’image. C’est peut-être la pire et la meilleure des
créations humaines. Ben disons qu’en voyant des gens crever sous nos yeux, ce
n’est pas vraiment sous nos yeux, alors bon, on se dit que c’est triste, mais
on ne le réalise pas vraiment. On se dit tous au moins 1000 fois dans sa vie « finalement,
on n’est pas si malheureux ». Heureusement, c’est l’autre là-bas qui meurt
de faim, de fin. Et quand on voit un clodo dans la rue, on se dit aussi
« larve, tu as baissé les bras, c’est de ta faute ». Mais les pauvres
ne posent pas vraiment de problèmes à la société, ils n’ont pas la force de se
lever, ni même le pouvoir de changer leur condition, alors ils s’accommodent,
et attendent patiemment de mourir, pendant que la vie les nargue. Les plus
mauvais, c’est les méchants. Oui on a réussi à trouver un accord entre grandes
Idées de blancs. Nos valeurs sont démocratiques, et le bonheur à la portée de
tous. Alors on se bat contre les Arabes. De la petite crasse à la grande mafia
organisée sous le joug de Satan. Vous vous souvenez de Satan au fait ? Non
parce que bon, il me semble que la religion n’est plus de mise ici, si ?
Je rappelle que Satan c’est le grand méchant qui est contre Dieu le grand
gentil. Ah oui, et Dieu, c’est celui qui nous a créé. Alors voyez, ce n’est pas
la fête quand il y a des méchants de Satan. Faut les détruire, et les
convertir. En fait, c’est rigolo, on commence par détruire, et on essaie de
convertir ceux qui restent. Pan pan. Ca aussi à la télé, c’est pas jojo. On
voit du rouge (c’est du sang, je précise, cette chose qui coule dans nos veines
et qui nous permet d’irriguer le cœur et le cerveau entre autre). On voit des
gens tomber. Non ils ne trébuchent pas sur un caillou mal intentionné. Ils
meurent. Comme on mourra tous un jour, si possible lointain. C’est-à-dire
qu’ils ne se réveilleront pas, plus, jamais. C’est-à-dire qu’on a volé leur
vie, et qu’on a violé leur famille, et leurs amis. Oui mais c’est à l’image.
Alors quand mémé meurt à 102 ans de vieillesse ou que papa fait une attaque à
42 ans, là, le monde s’écroule. Notre petit monde putréfié qui sent le vide.
Mais quand une assemblée de bidules, en plus méchante, meure, bah…c’est la
guerre de toute façon. Oh oui, on en voit des atrocités, mais elles ne sont pas
à l’image, elles sont dans nos Idées, laides, sales, crottées. Et les animaux
là aussi, et la Nature